Et les autres sens ?

La vision est le sens qui offre une appréhension à la fois instantanée et simultanée des éléments qui nous entourent. «Aucune autre modalité perceptive n'égale la vision dans la qualité et la quantité des données fournies, surtout en ce qui concerne les propriétés spatiales de l'environnement » (Hatwell, 2003). Certains auteurs considèrent même que 80 % des informations que nous percevons de l'extérieur nous viennent de ce sens. Elle encourage le mouvement et le désir d'exploration, et de ce fait l'initiation et le contrôle des actions dirigées sur des objets.
L'altération de la vision a donc un impact direct sur la disponibilité des informations de l'environnement, avec des conséquences sur la structuration des autres perceptions sensorielles. L'enfant déficient visuel utilisera de manière prégnante les autres modalités sensorielles à sa disposition.
Si malgré certaines idées reçues la cécité ne modifie pas les seuils de sensibilité des autres sens, l'attention de l'enfant s'accroît sur la réception des données reçues au niveau auditif, tactile, olfactif et gustatif, ce qui améliore l'utilisation de ces sens.

L'audition

Sens primordial chez les enfants aveugles ou malvoyants, l'audition demeure toutefois une perception à distance, souvent fugace : le son ne dure pas toujours dans le temps, et il n'est pas toujours reproductible. L'audition ne fournit de surcroît qu'un aperçu partiel de l'environnement, car tous les objets ne sont pas sonores. L'exploration est en outre passive.

Toutefois, cette modalité sensorielle reste un élément important pour appréhender l'environnement : elle participe à la reconnaissance des individus notamment par leur voix, et facilite le repérage dans l'espace. En effet, le sujet présentant un handicap visuel parvient, en fonction des bruits de pas, de la profondeur des lieux et des bruits environnants à estimer la distance et la position d'objets et de personnes à partir d'une source sonore. Néanmoins, la localisation des objets étant normalement soumise à la fois à la recherche visuelle et auditive, certains auteurs estiment que la réaction d'orientation au bruit apparait de manière beaucoup plus tardive chez les enfants aveugles (7 mois contre 2) en raison de l'absence de lien fait entre le bruit et sa source qui n'est visuellement pas perceptible par l'enfant déficient visuel sévère. Elle serait également dépendante de la présence ou non de l'objet dans le champ de préhension de l'enfant. Avant l'acquisition de la locomotion, un son émis en dehors de ce champ entraînerait l'exploration de tout l'environnement sans prise en compte de la provenance du son.

Par ailleurs, l'identification des sons n'étant pas toujours aisée, certains bruits peuvent se révéler angoissants pour l'enfant. L'accompagner dans ses apprentissages en lui apprenant à mettre des mots sur ce qu'il entend, et à hiérarchiser les informations pour faire abstraction de certains bruits participera à renforcer son sentiment de sécurité vis-à-vis de son environnement.

Le toucher

Nous parlons ici principalement du toucher dit « haptique », qui est la perception active et volontaire de l'objet par le sujet et qui rentre en opposition avec la perception cutanée passive qui fournit moins d'informations sur les objets.

Le toucher est la modalité sensorielle qui apporte le plus de renseignements sur les objets et l'environnement en cas d'altération ou de privation de la vision. Il ouvre l'accès à l'ensemble des informations concernant ce qui est exploré, à l'exception de la couleur et de la distance par rapport au sujet. Il nécessite cependant une certaine proximité avec l'enfant, ainsi qu'une taille autorisant l'appréhension complète. Actif, le toucher haptique nécessite un effort et une certaine attention de la part de l'enfant.

Selon Hatwell (1986), l'enfant aveugle de moins de 7 ans n'utilise qu'une main lorsqu'il effectue une tâche d'exploration haptique, rendant sa perception superficielle, rapide et expéditive. De plus, la main non dominante semblerait peu utilisée, ne servant que d'accompagnement moteur, de point de repère ou d'appui. Lorsque l'enfant grandit, l'exploration devient bi-manuelle, systématique et totale. L'individu planifie alors la tâche à réaliser.

Cependant, l'exploration par le toucher est difficile à mettre en œuvre chez les enfants en situation de multihandicap.

Contrairement à la vision, les perceptions tactiles sont fragmentées et non simultanées. L'analyse est donc séquentielle, morcelée, plus ou moins cohérente et forcément successive. La synthèse des informations est donc indispensable afin de concevoir l'objet dans sa globalité.

L'enfant devra donc intégrer les différentes sensations perçues (taille, texture, température...) afin de se construire une image mentale de l'objet. La qualité des représentations mentales effectuées dépendront de la qualité de l'exploration tactile.

Nous retenons donc l'importance de solliciter au maximum chez l'enfant aveugle l'utilisation des deux mains et de développer la compétence discriminative de ses récepteurs sensoriels. Ces capacités facilitent la construction des représentations mentales de l'enfant.

L'odorat et le goût

L'odorat et le goût sont tous deux complémentaires à l'audition, au toucher et aux perceptions visuelles si celle-ci sont partiellement présentes.

Les sensations olfactives sont prédominantes dans la petite enfance : elles permettent à l'enfant tout-venant de reconnaître par leur odeur ses parents, même sans les voir. C'est l'attachement olfactif. Nous pouvons en déduire facilement l'utilisation prégnante de ce sens par le bébé déficient visuel afin d'identifier les personnes de son entourage proche. Cette attention olfactive sera utilisée pour distinguer plusieurs odeurs familières (lieux, animaux, objets connus...)

Associé au goût, l'odorat est un élément important dans la perception des aliments. Ces deux modalités jouent un rôle essentiel dans leur reconnaissance. Privé de vision, l'enfant devra se fier à ses perceptions olfactives et gustatives pour identifier les aliments qui lui sont proposés. La mémoire gustative associera chaque goût spécifique à un mets afin d'optimiser leur distinction.

Le goût participe également à la découverte de l'environnement chez le bébé, qui portera à la bouche tout ce qui l'entoure au cours de sa première année de vie. L'utilisation de cet organe buccale renseignera le sujet sur la forme, la matière et la consistance des objets afin d'opérer un début de discrimination.

L'intégration sensorielle

Si l'enfant déficient visuel exploite ses différents sens de manière plus performante que ses camarades voyants, ces modalités apportent individuellement moins d'informations que le fait la vision. L'enfant va donc devoir apprendre à rassembler simultanément les données provenant de modalités sensorielles différentes en une représentation unique. Hatwell (2003) avance que ces coordinations intermodales sont présentes dès la naissance.

L'enfant va chercher alors à attribuer à l'objet des caractéristiques qui n'appartiennent pas à la modalité utilisée pour le percevoir afin d'en obtenir une représentation la plus complète et cohérente possible. Il va par exemple tenter d'associer des attributs sonores aux objets qu'il manipule tactilement.

L'âge d'apparition de la déficience visuelle serait donc un critère important dans la mise en place des représentations mentales : si des perceptions visuelles efficientes ont pu avoir lieu au cours des deux premières années de vie, le sujet aura pu mettre en place une coordination visuo-tactile, qui aura participé à l'enrichissement de la modalité haptique.

Le langage, quant à lui, unifie les différentes expériences sensorielles en les désignant par un même mot.

Multiplier les expériences sensorielles en variant les modalités de présentation (auditive, tactile, olfactive, gustative) permet à l'enfant d'optimiser ses représentations. La verbalisation des expériences vécues concourra à la qualité et à l'intégration de ces images mentales.

Page suivante : Adaptations