Le langage écrit

Lors de son entrée dans le langage écrit, l'enfant peut se voir proposer l'apprentissage de la lecture, selon son degré de déficience visuelle, par deux modalités possibles : la lecture en noir (celle que les normo-voyants utilisent) et/ou la lecture braille. Ce choix peut être envisagé plus tard, dans le cas de déficience visuelle acquise ultérieurement, où l'utilisation du braille peut se révéler nécessaire voire indispensable. Ce choix prend en compte l'évolution probable de la pathologie. Compte tenu de l'importance de la vision dans la perception d'un texte, quelles seront les conséquences fonctionnelles de la malvoyance sur l'acte de lire en noir ? D'autre part, nous avons jugé intéressant de présenter le braille, de par les difficultés tactiles que l'enfant peut rencontrer dans le décodage de ce matériel.


Le langage écrit en noir


La lecture et l'écriture en noir sont dépendantes de plusieurs facteurs visuels. Une atteinte de l'un au moins de ces composants aura des répercussions sur la perception des éléments écrits, entraînant alors des difficultés dans l'apprentissage et la pratique de l'acte de lire.

  • L'acuité visuelle de chaque oeil de près : elle entre en jeu notamment dans la discrimination des lettres. Celles visuellement proches entraînent un risque de confusion entre deux entités. C'est le cas par exemple du p et du q, du t et du f... 
  • Le champ visuel : son altération peut se traduire à travers une altération du balayage visuel requis lors de la lecture. L'analyse des lignes d'un texte dans son intégralité se révèle compromise. Le regard peut, par exemple se fixer sur ce qu'il pense être le début d'une ligne, alors qu'il s'est placé à côté. Des stratégies compensatoires, notamment de guidage avec l'index, peuvent accompagner le regard afin que sa perception soit la plus correcte possible.
  • La vision des contrastes : les travaux de Rubin et Legge effectués en 1989 sur des sujets avec plusieurs types d'atteintes visuelles soulignent l'importance des contrastes dans la présentation d'un texte. En effet, 84% des personnes malvoyantes interrogées ont obtenu de meilleures performances sur la lecture d'un texte plus contrasté (blanc sur noir) que sur un texte présenté de manière classique (noir sur blanc). 
  • L'oculomotricité : si, isolément, les troubles oculomoteurs ne rentrent pas dans un tableau de déficience visuelle comme nous l'entendons dans ce site, les troubles visuels des enfants malvoyants peuvent s'accompagner de ce déficit, qui ne sera qu'encore plus préjudiciable à leur apprentissage de la lecture. 


En raison des nombreuses disparités de la perception visuelle au sein de la population malvoyante, la lecture en noir peut se décliner de manière particulière pour presque chaque enfant. Chaque lecteur va rencontrer des besoins différents en termes d'adaptation de texte et d'ajustement de contrastes en fonction ses potentialités visuelles. Il revient alors à l'orthoptiste d'évaluer ces critères indispensables pour apporter un confort de lecture optimal, afin que l'enfant puisse dédier le maximum de ressources cognitives à la compréhension.

De manière générale, la lecture de l'enfant malvoyant présente quelques spécifités que nous allons tâcher d'évoquer ici.



La correspondance grapho-phonétique

Gompel (2005) note que les enfants déficients visuels ne présentent pas d'altération de la conscience phonologique, celle-ci n'était pas corrélée l'usage de la vision. Néanmoins, peu d'études s'intérssent à la préservation ou non de la correspondance grapho-phonétique chez notre population étudiée. Nous avons toutefois souligné précédemment qu'une altération de la vue pouvait être la cause de confusions de lettre proches visuellement, et donc avoir des répercussions sur leur perception, provoquant des erreurs de décodage.


La vitesse de lecture

Plusieurs recherches ont comparé les performances en lecture d'enfants voyants et de déficients visuels. Elles rapportent de manière générale une vitesse de lecture plus lente des mots isolés et de textes chez les enfants malvoyants. 

Pour expliquer ce phénomène, nous pouvons citer Koenen et al. (2000), qui ont souligné que les compétences en lecture des enfants déficients visuels étaient en corrélation avec la fréquence des actes de lecture. Ainsi, comme pour les enfants voyants, plus ils lisent et meilleures sont leurs performances. Or, la lecture pouvait être pour eux source de stress, induisant une baisse d'appétence pour lire sur leur temps libre, réduisant donc quantitativement cette activité. En outre, l'auteur met en avant le fait que ces enfants sont moins exposés à une lecture plus indirecte, passive, comme peuvent l'être leurs homologues voyants par le biais des publicités ou d'autres matériaux écrits très visuels rencontrés au quotidien. Le manque d'expérience face la vient donc ralentir la progression des compétences des sujets malvoyants dans ce domaine.

En outre, le manque d'exposition aux supports écrits est un frein au développement du stock orthographique. Une faiblesse de ce stock est susceptible à terme d'avoir des effets négatifs sur les compétences en lecture, l'enfant mettant plus de temps à reconnaître le mot. C'est alors la vitesse de lecture, ainsi que la motivation de l'enfant, qui en pâtissent.


Le versant orthographique

Nous venons de voir que le stock orthographique interne de l'enfant malvoyant pouvait être limité quantitativement. Nous pouvons supposer que l'orthographe lors de la production d'écrit peut également dans ce cas être chutée.

Les conclusions des recherches effectuées sur le sujet ne semblent cependant pas converger. Certains auteurs observent des capacités inférieures des enfants déficients visuels dans l'acquisition de l'orthographe lexicale. Arter et Mason (1994) rajoutent qu'à partir de 8 ans, plus de la moitié des enfants testés présentent un retard d'au moins deux ans dans ce domaine par rapport aux enfants voyants. Ce phénomène s'expliquerait par le fait le feedback visuel lors des tâches d'épellation permet d'ancrer l'image du mot de manière plus significative chez les enfants voyants.

D'autres auteurs comme Gompel et al. (2002) ont un avis plus favorable sur la question, et ne retrouvent des difficultés dans ce domaine que chez les enfants présentant des troubles associés d'ordre cognitifs associés à la déficience visuelle. Les enfants sans altération autre que celle de la vue auraient des compétences similaires à leurs camarades normo-voyants.


La compréhension des énoncés.

Si peu d'enfants malvoyants sont capables d'égaler les temps de lecture des normo-voyants, le niveau de compréhension se révèlerait similaire pour les deux groupes.

Cependant, le ralentissement de la vitesse de lecture que ces recherches ont montré entraîne une surcharge de la mémoire de travail. Cela ne semblerait néanmoinspas engendrer de conséquences néfastes sur la compréhension, les enfants malvoyants investissant les versants syntaxiques et sémantiques de manière égale, voire supérieure aux enfants voyants.

Rajoutons pour finir que les malvoyants se servent tout aussi bien du contexte de l'énoncé, qui rend plus facile l'accès au sens, que les enfants normo-voyants.


Le graphisme

    Les enfants malvoyants sont souvent loin des exigences posturales et motrices nécessaire à la production de l'ériture dans de bonnes conditions. Luzoir (dans Kovarski, 2010) recense les difficultés suivantes :

    • Une tenue générale du tronc et de la tête inadéquate : L'enfant a tendance à se rapprocher au maximum de sa feuille pour appréhender le tracé qu'il réalise. La tête peut venir compenser cette posture.
    • Des contractures musculaires peuvent découler de ces mauvaises postures. Elles sont gênantes et parfois douloureuses, et se propagent à l'épaule et aux doigts, qui tiendront de manières crispée l'outil scripteur.
    • Suite à ce déficit du contrôle moteur, l'enfant va inconsciemment exercer une forte pression sur la feuille, empêchant la réalisation d'un tracé régulier
    • S'ensuivent des difficultés à gérer la continuité du tracé et à accéder aux mécanismes visuo-moteur d'autorégulation. L'écriture est donc inconstante, allant jusqu'à être illisible pour l'entourage

    L'effort fournit pour produire un écrit est coûteux pour l'enfant déficient visuel, et générateur d'une fatigue importante. 


    Toutes ces observations des conséquences de la déficience visuelle sur l'acquisition du langage écrit restent toutefois à nuancer. En effet, comme le rappelle Gompel (2005), la vision n'est pas le seul élément à rentrer en jeu dans ce processus. Elle retrouve notamment une corrélation entre le niveau intellectuel de l'enfant et ses compétences en lecture. De surcroît, la malvoyance étant souvent accompagnée de troubles associés, l'auteur note des liens entre la présence de difficultés autres que visuelles et la baisse des compétences dans le langage écrit. Le retentissement d'une altération de la vision a donc des conséquences inter-individus très variables, dépendantes de nombreux autres facteurs.



    Le braille

    Le braille est un code alphabétique tactile permettant la lecture et l'écriture pour les personnes malvoyantes ou aveugles. Du nom de son inventeur Louis Braille (1809-1852), ce système s'est répandu de manière universelle, et de nombreux objets quotidiens s'en sont emparé, permettant leur accessibilité à des personnes ayant une déficience visuelle importante.




    L'écriture braille est constituée de cellules formées de 6 points en relief. Chaque cellule correspond à une lettre, chiffre, signe de ponctuation ... Les points sont répartis en deux colonnes de trois, et sont conventionnellement numérotés de haut en bas et de gauche à droite selon le modèle suivant.


    Par exemple, la lettre « a » est représentée par le seul point 1 et le « p » par les points 1, 2, 3, 4.

    Le braille étant une transposition signe à signe de l'écriture en noir des voyants, il conserve donc les règles de conversion grapho-phonémiques.


    Grâce aux 63 combinaisons possibles (63 + 1 cellule vide qui constitue un espace), le braille permet une écriture non seulement des lettres et des signes de ponctuation, mais également des chiffres et de la musique.


    • Le braille abrégé

    Si le braille a permis, et permet toujours l'accès à la culture des personnes déficientes visuelles, un des problèmes rencontrés dans son utilisation est le volume des ouvrages. En regard des livres en noir, les recueils en braille sont de 30 à 50% plus volumineux (et encombrants). La taille prédéfinie et non modifiable des cellules donne au baille son caractère incompressible (on ne peut pas écrire plus petit ou plus grand). Un « abrégé orthographique étendu » a donc été créé, visant à contracter ou symboliser un mot ou une partie de mot afin de réduire la taille des écrits. Le gain de place que procure alors l'abrégé est estimé à 30%. Notons que ce braille abrégé est orthographique, et conserve donc les désinences des verbes, ainsi que les marqueurs du féminin ou du pluriel.


    Apprentissage et lecture du braille

    Le sens de lecture du braille est le même que celui de la lecture ordinaire : le sujet lit les caractères braille de gauche à droite avec la pulpe des doigts (en général les index). Si les jeunes élèves préfèrent une lecture uni-manuelle, l'utilisation des deux mains est introduite le plus tôt possible afin de tendre à une lecture experte. Les lecteurs les plus performants font rejoindre leurs deux index au milieu de la ligne pour lire les premiers mots, puis la main droite finit de déchiffrer le reste de la ligne tandis que la gauche descend sur la ligne suivante et commence la lecture des caractères. 

    Avant même l'apprentissage du braille, Millar (1997), Lewi-Dumont (1997, 2009) et Hatwell (2003) s'entendent pour dire qu'une préparation et un entraînement au toucher sont indispensables dans l'optique d'une automatisation de la reconnaissance des caractères embossés. En parallèle, les prérequis nécessaires aux enfants dans l'apprentissage de la lecture sont également à développer. 

    Puis l'élève apprend à reconnaître chaque caractère, en prenant soin d'avoir la totalité de la cellule sous la pulpe du doigt. L'enseignant veille durant tout le processus d'apprentissage à ce que les premières éventuelles confusions tactiles ne perdurent dans le temps.

    Par la suite, le lecteur pourra percevoir les mots, puis au fur et à mesure de son apprentissage, il développera ses capacités d'anticipation et de vérification afin d'être plus rapide dans sa lecture.


    Difficultés dans la lecture du braille.

    Néanmoins, la lecture du braille présente quelques difficultés par rapport à la lecture en noir.

    Tout d'abord, le braille intégrale, de par sa composition, ne permet pas une reconnaissance globale du mot : en effet, si l'enfant normo-voyant appréhende visuellement les mots de manière globale au fur et à mesure, le lecteur tactile, quel que soit son niveau, analysera chaque cellule les unes après les autres de manière séquentielle afin de pouvoir percevoir tactilement la totalité du mot, et ce même en lecture bimanuelle 

    Cette lecture analytique participe au fait que la lecture du braille reste plus lente que celle du noir : on estime que le lecteur braille met en moyenne deux à trois plus de temps pour percevoir un texte. S'ajoute à cela la non perception globale de la page, comme peut l'avoir un lecteur voyant lorsqu'il repère les paragraphes, les tirets des dialogues... qui ralentit la prise d'indices et la compréhension globale du document.


    Les erreurs de lecture, confusions tactiles

      Les caractères du braille se ressemblent beaucoup tactilement, du fait du nombre de combinaisons possibles pour seulement 6 points dans une cellule : parfois seul un point permet de différencier un caractère d'un autre, certains caractères, bien qu'ayant une orientation différente, présentent la même forme, etc... Au cours d'une étude réalisée sur un petit nombre d'enfants aveugles, Wittmann (2003) a déterminé la fréquence des confusions perceptivo-tactiles rencontrées chez les enfants lecteurs braille.

      La majorité des erreurs portaient alors sur les caractères symétriques, notamment ceux en miroir. Les élèves rencontraient également des difficultés sur les caractères dont les points de la première colonne étaient identiques, mais dont ceux de la deuxième colonne ne se différenciaient que d'un seul point. Le remplissage médian d'une cellule entraînait également des confusions, principalement sur les caractères o/r et y/é . Ensuite, la succession de deux cellules dont les points seraient alignés met l'élève en difficultés, comme sur la discrimination entre ma/m .

      Enfin, une moins bonne perception des points 3 et 6 sur la cellule braille entraînerait des confusions entre les caractères o/e et m/c.

      L'étude de Wittmann lui permet de conclure que ce serait les graphies h, m, n, o, s, u, d, f, q, qui seraient le plus fréquemment confondues en braille. Si ces confusions sont fréquentes lors de l'apprentissage et tendent à s'effacer avec l'expérience, elles peuvent perdurer chez certains élèves et constituer un trouble tactilo-graphique qui perdurerait et altérerait la bonne perception et compréhension des écrits en braille.


      Nous avons donc abordé les différents moyens qui s'offrent à l'enfant déficient visuel lorsqu'il entre dans le langage écrit. 

      L'orthophoniste, de par ses compétences, est à même d'accompagner ces apprentissages si un retard dans les acquisitions s'installe, en étroite collaboration avec l'orthoptiste, qui préconisera les adaptations nécessaires visant à améliorer la perception visuelle du texte et à limiter la surcharge et la fatigue cognitive afin que les ressources de l'enfant puissent être dédiées à la compréhension.

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