Le langage oral
La guidance parentale
Elle fait partie intégrante de cet accompagnement de l'enfant et de sa famille. L'orthophoniste, en expliquant aux parents les particularités de développement de leur enfant, concoure à diminuer leur angoisse, et les aide à comprendre ses difficultés d'adaptations dans différents domaines.
Certains parents peuvent rencontrer des difficultés dans la relation avec leur enfant, ne sachant comment entrer en contact de manière naturelle avec lui ou interpréter et répondre à ses réactions. Les encourager à multiplier les expériences tactiles et auditives en le portant, lui parlant, en lui chantant des chansons, à jouer avec lui en le prenant sur leurs genoux par exemple permet d'instaurer une situation d'échange et de dialogue indispensable à la relation. Ces moments sont des occasions idéales pour renforcer les actions de l'enfant avec des mots. L'altération de la vision n'autorisant pas tout le temps la perception de ce que l'enfant ou l'adulte fait, ces commentairesrelient ainsi l'expérience aux mots, et mettent du sens sur ce qui est en train de se passer.
De surcroît, la verbalisation des sons entendus, des situations de la vie quotidienne (le change, le repas...), des émotions ressenties, des objets que l'enfant manipule est indispensable afin que ce dernier puisse donner du sens à ce qu'il entend, expérimente, ressent. Cette verbalisation doit être riche et précise, afin d'apporter une description détaillée qui concourra à la construction progressive des représentations mentales stables et du langage.
L'orthophoniste peut orienter les parents dans le choix de jeux adaptés. Des jouets sonores, lumineux (dans le cas de restes visuels), de différentes matières et textures, encourageront l'exploration manuelle, la motricité fine et l'attention auditive (et visuelle si elle est possible). Ces activités de jeux nécessitent dans un premier temps l'accompagnement et la participation de l'adulte, afin de verbaliser ce que l'enfant touche, entend et peut percevoir visuellement, afin de permettre l'attribution de propriétés aux objets.
Un autre aspect de la guidance parentale réside dans l'accompagnement lors de l'alimentation, et notamment lors du passage à une alimentation solide (cf ci-dessous) . En effet, des troubles de l'oralité alimentaire sont retrouvés chez les jeunes enfants aveugles ou avec une malvoyance importante.
La communication et le langage oral
Lorsque le développement communicationnel de l'enfant déficient visuel est entravé, la rééducation orthophonique devient primordiale pour accompagner l'enfant. Toutefois, cette prise en charge demande des adaptations de la part du professionnel. En effet, la rééducation de l'enfant ordinaire s'appuie beaucoup sur la vision : imitation, jeux, livres... Nombreux sont les supports visuels utilisés classiquement avec des enfants sans trouble de la vue.
Une des clés de la prise en charge d'enfants déficients visuels réside dans l'utilisation conjointe des différentes modalités sensorielles. En effet, la stimulation multimodale va permettre au patient de compenser par le toucher, l'audition, voire l'odorat et le goût, les informations qu'il ne perçoit pas ou peu visuellement. Ainsi, en regroupant les différents éléments perçus, il va pouvoir se construire une représentation propre de son environnement. C'est via la verbalisation par l'adulte de ses actions et perceptions qu'il acquerra des informations de plus en plus précises sur ce qu'il expérimente au quotidien. C'est ce point que nous nous efforcerons de garder en tête tout au long de nos réflexions.
Par ailleurs, dans le cas de potentialités visuelles, même minimes, elles doivent être exploitées au maximum afin de renforcer les autres perceptions sensorielles de l'enfant.
L'entrée en interaction avec l'enfant.
Si l'enfant tout-venant utilise la modalité visuelle pour apercevoir son interlocuteur et entrer en premier contact avec lui, l'enfant malvoyant ou aveugle ne dispose parfois que des sons produits par son entourage pour savoir si celui-ci est présent. L'interlocuteur doit donc adapter son comportement. Cela peut passer par la verbalisation de ses déplacements : « J'arrive » « Je pars chercher quelques chose ». Ainsi, l'enfant perçoit mieux la présence ou l'absence de l'adulte, ce qui, en fonction de l'âge, participe au sentiment de sécurité.
Lors de l'entrée en communication, la distance à laquelle se place l'adulte peut influencer la perception qu'a l'enfant de lui. L'adulte doit rechercher la bonne distance (ne pas se mettre trop près de l'enfant si la vision est tubulaire par exemple) afin de s'adapter au champ de vision. L'adulte veillera à être en face du patient, notamment lors d'échanges verbaux, afin que ce dernier puisse, si la vision le permet, discerner de manière plus précise les mouvements du visage et les mimiques. Cela aura son importance dans la perception de la communication non verbale, et dans celle des traits articulatoires.
L'échange peut ensuite s'initier autour de tout ce qui est susceptible de développer sa curiosité, l'exploration visuo-tactile, l'échange verbal... . L'adulte accompagnera verbalement l'enfant en décrivant de manière précise à la fois ses actions et celles de l'enfant. On pourra alors commenter l'aspect de l'objet (grand, petit, rond, carré, doux, rugueux, bruyant) en encourageant l'exploration manuelle.
L'orthophoniste pourra également varier les intonations de manière plus marquée, parler de ses ressentis, exprimer verbalement les émotions pour remplacer les expressions du visage ou les mimiques qui ne seraient pas perçues par le patient.
Par ailleurs, ces enfants étant souvent passifs et peu enclins à l'exploration, l'adulte pourra les inciter à se déplacer vers les objets.
L'imitation
Les capacités d'imitation étant souvent entravées, la situation de jeu est le moment idéal pour les développer. L'imitation peut être initiée par l'adulte, qui peut reprendre les productions orales de l'enfant et encourager l'enfant à les reproduire à son tour. Le passage par des comptines associant des gestes constitue également un moyen ludique de stimuler l'imitation tout en mettant des mots sur ce que l'enfant fait.
Les tours de rôle
De nombreuses activités de tour de rôle utilisées traditionnellement en orthophonie sont accessibles à un public déficient visuel. L'orthophoniste pourra cependant favoriser l'utilisation du canal auditif, via l'utilisation d'instruments musicaux que l'on utiliserait chacun son tour. Si les potentialités visuelles le permettent, l'utilisation d'une balle lumineuse et/ou sonore à s'envoyer à tour de rôle permet une perception accrue par l'enfant. Ces activités seront accompagnées par la parole : « à toi, à moi » pour aider l'enfant à intégrer ces concepts. Si possible, encourager l'utilisation du pointage, l'enfant déficient visuel n'y ayant que peu recours.
La perception tactile
C'est un élément prépondérant dans l'exploration par l'enfant des différents objets de son environnement. Dès le plus jeune âge, l'adulte doit encourager cette découverte, qui, en l'absence de vision, n'est que rarement initiée spontanément. Pour cela, on peut proposer à l'enfant de « patouiller » de nombreuses textures afin qu'il découvre les sensations associées et qu'il entraine ses capacités de discrimination : pâtes, pois chiches, plumes, balles, pâte à modeler... L'inciter à décrire les sensations procurées : est-ce que c'est doux, rugueux, petit, grand, agréable, ondulé, lisse ? Ces éléments remplaçant l'utilisation des termes de couleur, ils permettent à l'enfant d'affiner ses capacités d'analyse.
Il est important de laisser le temps d'explorer les éléments : notre vision nous rend beaucoup plus rapide que lui dans l'appréhension de l'environnement. Or, l'enfant malvoyant ou aveugle est plus lent dans sa découverte. Il doit reconstituer en un tout les différentes parties qu'il explore.
Ensuite, ces capacités peuvent être développées afin de travailler d'autres concepts, comme l'appariement et la discrimination par exemple, à l'aide de lotos tactiles, ou de dominos présentant différentes textures. Ainsi, l'exploration manuelle, l'organisation spatiale, et l'extension du vocabulaire sont ainsi travaillés conjointement.
Avec l'amélioration des compétences tactiles de l'enfant, l'adulte pourra introduire des éléments de plus en plus fins et complexes pour étayer l'exploration de l'enfant.
La perception auditive
Les sons sont les premiers éléments perçus passivement par l'enfant déficient visuel. Ils sont les premiers à donner des informations sur ce qui se passe autour de lui. L'audition est un support d'autant plus important dans l'acquisition du langage et des représentations du monde quand la vision est altérée.
La découverte sonore est un élément de travail non négligeable de la prise en charge. Les sons peuvent être présentés de plusieurs moyens à l'enfant : jeux sonores, bruits d'animaux, d'objets de la vie courante, chants, comptines, instruments de musiques, boîtes à secouer...
Plusieurs axes peuvent être explorés à partir de cette modalité de présentation : l'identification, la discrimination, la description (le son est-il long, court, à quoi fait-il penser ?), l'association avec des objets ou des images, le rythme.
Les possibilités sont multiples !
Les praxies
Afin de développer l'articulation et le langage, l'orthophoniste peut aborder le travail des praxies bucco-faciales. Cependant, l'enfant dont la vision est altérée aura une perception amoindrie des détails du visage de l'adulte.
Une première étape consisterait en une stimulation de la zone oro-faciale, afin que l'enfant prenne conscience des différentes parties qui la constitue. A l'aide d'accessoires (vibrants ou non), différencier chaque élément (lèvres, langue, joues..) en mettant des mots pour les dénommer permet à l'enfant de les discriminer et d'en prendre plein conscience. Ne pas hésiter à laisser l'enfant explorer de lui-même. Cette activité peut être tournée sous forme de jeu, de devinette..
Lorsque l'enfant a intégré chaque élément, et que les capacités d'imitation sont suffisantes, l'orthophoniste peut faire sentir sur elle les mouvements qu'elle produit. L'enfant peut mettre ses mains sur les joues de l'adulte pour sentir qu'elles se gonflent par exemple, que les lèvres sont projetées en avant, que l'air passe dans les narines quand on souffle.... L'utilisation de marionnettes en forme de bouche peut faciliter la perception des mouvements intra-buccaux. Un travail sur le lexique spécifique est à amorcer en parallèle : « tirer », « monter » « gonfler ».. ne sont pas de termes si évident quand l'image ne les accompagne pas !
Enfin, l'enfant pourra reproduire sur lui ce qu'il a senti, en imitation ou sur consigne de l'adulte.
L'utilisation de la DNP permettra à l'enfant d'être sensibilité aux sons en investissant le passage par le corps.
Développer le lexique et le langage.
Le lexique de l'enfant déficient visuel présente souvent des particularités. L'altération de la vision ne permet souvent qu'une vision parcellaire, morcelée, que l'enfant doit reconstituer. Le non voyant quant à lui appréhende les détails tactilement pour en faire la synthèse. L'image mentale qu'il se fera de l'objet sera alors différente de celle de la personne voyante, car plus basée sur les sensations auditives, tactiles, olfactives ou gustatives des éléments.
Afin de développer le lexique et de permettre à l'enfant d'avoir une représentation mentale la plus stable et la plus proche de la réalité possible, l'orthophoniste devra favoriser le passage par un canal multimodal, tout en complétant l'exploration par du verbal : raconter, expliquer, faire des liens entre les éléments...
Dans le travail du lexique, l'orthophoniste devra être attentif à ce que l'enfant n'ait pas de représentations fausses ou parcellaires de l'objet. Prenons par exemple le concept « voiture » , l'enfant déficient visuel peut se l'être représenté comme le son de la voiture dans la rue, le bruit du klaxon, de la voiture qui freine, l'odeur de l'essence, le toucher de la carrosserie ou la sensation qu'il a quand il s'assied dans le siège.... Il aura associé ces informations à ce que son entourage lui aura donné comme propriétés : la voiture roule, elle a un volant... Toutefois, l'adulte devra veiller à ce que l'enfant ne se soit pas construit de fausses représentations par une généralisation excessive (La voiture de maman est bleue donc toutes les voitures sont bleues).
L'adulte peut faire associer les différents moyens d'identifier un concept, afin de lier les représentations : présenter le bruit, puis la représentation en jouet, la version « réelle »... Des associations sont ensuite possible en choisissant un objet parmi d'autres en fonction du son entendu ...
Plutôt que d'essayer d'enrichir quantitativement le stock lexical de l'enfant, il est préférable, dans un premier temps de s'assurer de la bonne intégration des représentations afin qu'elles constituent des bases solides dans l'appréhension du monde.
Le développement de la syntaxe suit la même ligne conductrice que le lexique : il doit être multimodal, et peut s'appuyer notamment sur le toucher et la manipulation (poupées, dînettes, figurines type Playmobil...).te ici...