Le raisonnement logico-mathématique
Peu de chercheurs se sont intéressées à la pensée logique et au raisonnement chez les enfants déficients visuels. La plupart des recherches dans le domaine ont été effectuées par Yvette Hatwell en 1966 et s'inscrivent dans une conception piagétienne du développement cognitif.
Les conservations
Premièrement, la conservation des volumes serait échouée de manière significative chez la majeure partie des enfants aveugles. Concernant la conservation de la substance et de poids, les enfants aveugles passent selon Hatwell par les mêmes étapes que leurs homologues voyants. Cependant, cette acquisition se fait avec un décalage notable. En effet, 2 à 3 ans de retard sont remarqués sur la conservation de la substance (9-10 ans contre 7 ans) et 3 ans sur la conservation du poids. Notons que l'âge d'acquisition de la cécité aurait une incidence sur ces performances, avec une supériorité des aveugles tardifs (cécité après 3 ans) sur les aveugles précoces.
Concernant les enfants malvoyants, ils présentent également des performances inférieures aux enfants dans la conservation de la substance. Ces résultats sont confirmés par Swanson (cité par Hatwell, 2003), qui remarque en plus des résultats moindres des malvoyants sur la conservation du poids. Toutefois, les enfants malvoyants présenteraient des compétences similaires aux voyants dans la conservation du volume.
Les opérations logico-mathématiques visent à mettre des objets en relation entre eux. Les représentations imagées entrent en jeu de manière moindre par rapport à d'autres opérations. Il convient néanmoins avant de poursuivre de distinguer deux types d'opérations logiques :
- D'une part les opérations qui bénéficient d'un support perceptif, c'est-à-dire celles qui impliquent la manipulation d'objets concrets (classification et sériation d'objets)
- D'autre part les opérations logiques dont le support perceptif est réduit, voire nul. Ce sont celles qui portent essentiellement sur des contenus verbaux (sériation de mots, recherche d'intrus...)
Les classifications
On retrouverait un retard significatif de 3 à 4 ans des enfants aveugles sur la classification d'objets concrets par recherche d'intrus. Les performances sur d'autres tâches de classement selon un ou deux critères, toujours retardées, semblent cependant mieux réussies.
Parallèlement, les résultats des enfants aveugles lors des classifications à dominante verbale se rapprochent quant à eux sensiblement de ceux des enfants voyants : moins d'une année sépare l'acquisition de la compétence entre les deux groupes. (en défaveur des sujets aveugles). Certains auteurs concluent à des capacités relativement similaires entre les enfants aveugles et les voyants à l'âge de 8 ans.
Le retard des enfants aveugles dans les tâches de classification semble donc globalement moins important que celui observé dans les tâches de conservation. Il en serait de même pour les malvoyants, qui, bénéficiant d'un potentiel visuel exploitable, réussissent mieux les tâches sur objets concrets que leurs homologues aveugles.Cependant, le succès à ces épreuves se fait au détriment d'un coût cognitif important.
Les sériations
Les conclusions d'Hatwell sur l'acquisition des opérations de sériations se rapprochent de celles vues précédemment sur les classifications. En effet, les tâches sur du matériel verbal mettent en évidence un âge de réussite similaire pour les deux groupes (8 ans), tandis que l'écart se creuse lorsque l'on passe sur du matériel concret. Ainsi, 2 à 3 ans de plus sont nécessaires aux sujets aveugles pour arriver à une sériation correcte. Notons que ce décalage s'amenuise pour les épreuves réussies tardivement par les enfants voyants, qui parviennent à mettre en série les poids à 8-9 ans, contre 10 ans pour les enfants aveugles.
Le nombre
Les rares études sur le développement de la notion de nombre chez les aveugles ne semblent pas concorder. Si certains auteurs remarquent un retard des enfants aveugles sur l'acquisition de la correspondance terme à terme, d'autres ne constatent aucune différence entre les deux groupes. D'autre part, une étude menée dans le cadre d'un mémoire d'orthophonie par Berthet (2007) note une utilisation du nombre plus précoce chez les enfants aveugles par rapport à des enfants malvoyants ou voyants.
Enfin, Sylvestre et Daurat-Hmeljak (1972), qui se sont intéressés aux individus malvoyants, concluent au terme de leur travail que ces derniers sont aussi performants que les enfants voyants sur des activités de correspondance terme à terme que de conservation du nombre.
Pour résumer, le développement du raisonnement logique chez les enfants déficients visuels suit donc le même schéma que celui des enfants voyants. Si les erreurs commises par les deux groupes sont sensiblement les mêmes, le recours à du matériel concret, visuel, est entravé par l'atteinte de la vision. Le raisonnement à partir de matériel verbal est toutefois favorable aux enfants déficients visuels, dont les compétences sont relativement identiques aux enfants voyants du même âge.